samedi 4 février 2012

Page 1 (Louis Butin)

[ci-dessous, l'assemblage des épisodes 1 à 10 écrits par Louis Butin forme la page 1 de son texte.]

Voyeur vicieux, superstitieux, il vivait seul chez sa mère. « Pauvre agneau… Je suis égaré et je tâtonne en vain la face du monde… où sont les prochains signes de Dieu ? », geignait-il en feuilletant sa Bible. Mélancolique, cerné de pensées inavouables, le pauvre agneau se faufilait jusqu’au seuil de la résidence de sa voisine, forteresse de plain pied sur herbe rase. L’esprit ardé, hanté, en lui bourdonnaient le simoun, le chinook et le sirocco. Là, épiant de tous côtés dans la pénombre d’une lune effilée, il examinait les moindres indices d’une présence étrangère, tour à tour anxieux et exalté. Tiens ? Sous le vieux marronnier : l’empreinte d’un autre rôdeur ?
Les fruits morts jonchaient le sol sous la frondaison qu’il eût dans son enfance plaisamment imaginée tepee. En ces nuits de jadis, il aurait entraîné sa voisine dans des jeux de rôles et d’alphabet corporel. Comme il enviait la communication facile des enfants ! Soudain, il le vit : l’autre se tenait là, dans un rayon de lune, au pied du château de la princesse, prenant à la dérobée des photographies avec son téléphone portable, l’odieux personnage ! Un mot lui vint aux lèvres comme une cerise dodue : doppelganger. Et il aurait voulu le cadenasser, ce mot accusateur, au fond de son esprit. Il tomba à genoux et récita, balbutiant, des extraits du psaume de David, de ces extraits qu’il transcrivait des nuits entières à la lueur des bougies, dans le faisceau d’une loupe : « Éternel ! Conduis-moi dans Ta justice, contre mes ennemis. Couche les herbes sous mes pas ! Nous… Nous célébrons Ton nom et cependant Tu nous repousses, Tu nous couvres de honte… » Et reniflant : « Tu nous livres comme des brebis à dévorer, Tu nous disperses parmi les nations », gémit-il.
À peine eut-il prononcé cette prière qu’il fut pris de confuses hallucinations : il était un des enfants d’Israël fuyant l’Egypte, franchissant les eaux de la mer Rouge ; il était un des rois mages suivant l’Étoile ; il était Jacob combattant l’Ange au pied de l’échelle… Il était… Il était David, et son projectile touchait l’Ennemi en plein front ! L’Un le soutenait dans son combat, personne ne devait découvrir ses secrets. Dans son duel auprès de la résidence de l’aimée, il l’emportait sur l’autre et sur lui-même. Dieu avait guidé sa main, lui avait fait repérer le monticule de pierres décoratives dans le jardin, lui avait fait reconnaître celle qui se cale le mieux dans la paume et dans la pénombre avait conduit le projectile jusqu’à la tempe du coquin. Et maintenant tout semblait dénoué, fluide : une clé gisait à côté du corps.
« Hhh… Ouille ouille… Qu’est-ce que ?... »... gémit le géant terrassé.
Alors, notre vengeur intrépide entama son chant de gloire, avec des trémolos d’émotion :
« Comme Yaveh fit s’abattre sur Pharaon et ses sujets les plaies d’Egypte, comme sa colère déchira les cieux pour les emporter dans les eaux de la mer Rouge, Il m’a mis, et ce n’est pas un hasard, sur ton chemin, Il a décidé de ton châtiment, Ô voyeur impénitent ! Contre les fruits corrompus de ton péché, j’oppose mon feu purificateur ! » Et ce disant, il se saisit de la clé.
Par ce moyen, il entra dans la maison plongée dans le noir complet. Il avait retiré ses chaussures afin de ne pas faire plus de bruit qu’un esprit familier. Ces lieux inconnus lui inspiraient un amour nouveau. Dans le salon un grand aquarium fluorescent où l’eau clapotait gentiment dégageait les ombres du mobilier. Des poissons colorés évoluaient parmi les bulles luisantes. Un poisson jaune et bleu s’était fait un gîte dans une pyramide en résine.
Au milieu du salon, Jean-Jesus se sentait le corps arrosé d’émotions scintillantes : il était chez elle.


(à suivre)

Louis Butin

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