mardi 21 février 2012

Episode 23


[Les cinq paragraphes ci-dessous appartiennent à cinq feuilletons distincts. Ces cinq paragraphes ne se suivent pas - mais font suite aux précédents épisodes des mêmes auteurs.]


(Suite de l’histoire n°1) “Il poussa la porte d’un troquet aux vitres poussiéreuses, dont l’enseigne indiquait, en lettres gothiques, qu’il se nommait « La clé d’or ». Rien n’était plus éloigné de ce métal précieux que l’intérieur miteux du local, mais Salomon ne s’y arrêta pas. Il demanda où se trouvait le téléphone, ainsi qu’un annuaire pour retrouver le numéro des De Quiche, chez qui il devait se rendre ce jour-là. Le patron, qui le regardait avec des yeux de poisson mort, lui indiqua le fond de la salle, et se remit à nettoyer ses verres sans grande motivation. Salomon pensa à la grande maison des De Quiche, encore plus grande que celle de ses cousins ; que ces gens-là avaient donc de la chance ! Il composa le numéro.” (Alice Bé)



(Suite de l’histoire n°2) “Heisenberg se demanda ce qui lui avait pris d’accepter ce rendez-vous. Etait-ce cette carte de visite énigmatique, dont l’aspect artificiellement parcheminé, tout en lui laissant espérer une mission rémunératrice, avait touché son goût pour les vieilles choses? Etait-ce l’invitation à se rendre dans un manoir, dont, à la seule évocation, il avait imaginé chaque escalier, façade et tableau? Ou était-ce simplement cette passion du mystère, dont il ne parvenait pas, même retraité, à se défaire? ” (David M.)



(Suite de l’histoire n°3) “J'essaie de reconstituer mentalement la fiche d'identité de Locus, pour discerner si cela est possible. Après tout, que ce soit lui, je veux bien, mais quelles raisons aurait-il à m'écrire de la sorte ? Je sais que c'est un grand lecteur et qu'il est extrêmement cultivé ; je sais qu'il a voyagé partout dans le monde, souvent pendant des séjours très longs, de plusieurs mois, voire de plusieurs années. Il disparaissait brusquement, et Reinette, quelques semaines plus tard, me montrait une carte postale venue d'Afrique ou d'ailleurs. Je sais aussi qu'on ne lui a jamais connu d'emploi stable, alors même qu'il ne semble jamais manquer d'argent, qu'il commande volontiers du champagne dans les restaurants, etc. Je sais enfin – en tout cas, c'est ce que prétend Reinette – que nul ne sait où il habite et que personne n'est jamais allé chez lui. Moi, j'ai toujours interprété cela comme signifiant que c'est un fils à papa et qu'il ne veut pas que ses amis sachent qu'à 31 ans il habite toujours chez ses parents. Il ne m'a donc jamais intéressé. Mais il est peut-être temps que je change d'avis, que je révise mon opinion : Jean Locus détient peut-être la clé.” (FG)


(Suite de l’histoire n°4) “Sa main gracieuse descendit contre le lit, attirée par l’appareil, hésita puis se reprit à mi-chemin et vint se réfugier contre sa tendre poitrine.

Jean-Jesus se chuchotait au-dedans : « tournez-vous un peu, madame… tendez-moi l’autre fesse, que je comprenne mieux les mystères de Dieu. »

Mais elle restait de profil, obstinément, figée, furieuse, solitaire.

« Rrh !, feula-t-elle, on dirait que je n’attire que des tordus... Où que j’aille, partout… Paris, Lausanne, Londres, Milan… Ssss… Que des mecs… cons ! Rrrh ! » Elle tira sur ses cheveux, les démêlant rageusement, tiquant de douleur par instants.

Jean-Jesus connaissait bien cette façon de se parler à haute voix ; lui-même faisait ainsi, quand sa mère n’était pas à la maison, qu’il ne parvenait pas à trouver le calme, que la Bible adorée lui tombait des mains…

« Je te comprends… », murmura-t-il.” (Louis Butin)


(Suite de l’histoire n°5) “Elle va retrouver Daisuke mort. Dans son enfance, et pour une raison qu'elle ne s'est jamais expliquée, elle a craint, pendant des années, de retrouver ses parents pendus au balcon, une cagoule blanche sur la tête. Au lieu de quoi : Kagi Kenichi, son père, est mort d'un cancer du poumon dix ans plus tôt, tandis que Kagi Teruyo, sa mère, a épousé en secondes noces un exportateur de saké et vit tranquillement sur une des îles de la Mer intérieure, sans jamais plus donner de nouvelles. Mère, quand il faudra remuer vos os sur le brasier, peut-être saurons-nous si vous avez été heureuse loin de nous ? Etusko se déchausse et monte sur la pointe des pieds l'escalier qui conduit à leur chambre.

Non. Il est là, vivant, dort les bras en croix, la barbe aimantée par les boules pâles du lustre, le moindre de ses poils reflétant la lumière verdâtre de l'aquarium qui cohabite — maudits poissons — avec eux dans la chambre. Un petit scaphandrier y explore les grands fonds, un trident à la main. Maudit Daisuke, oui. Les poissons n'y sont pour rien. Etsuko pose la main sur le torse nu de son amant, qui frissonne.

Il a posé sur le livre qu'il était en train de lire un flacon en plastique — de la mélatonine. Sa carte de métro lui sert de marque-page. Que lit-il, l'imbécile ? Le soleil pointe sous le store, qu'il n'a pas complètement baissé.

— Daisuke.

Elle pose ses lèvres sur le thorax de l'homme, lèche sans réfléchir le méplat que fait son sternum. Criminalité et prisonniers au Japon. Mon Dieu. Elle lui baise les paupières. Puis lève un regard sidéré vers l'aquarium, où l'eau s'est mise à danser, verte, clapotante, sous les néons.

— Daisuke ! Ça bouge ! Ça tremble ! Daisuke ! Réplique !

****

Il était couché dans le sable, le bleu du ciel lui écrasant front et menton. La nuit, ô joie, la nuit n'était plus ; le monde avait repris son cours.” (Dragon Ash)

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